KASSATAYA dans Le Calame : « Abdoulaye DIAGANA, concepteur / créateur de la web radio KASSATAYA.COM : « 

« Il y a un esprit kassataya qui est d’abord cette conviction que toutes les opinions se valent et méritent d’être exprimées ».

 

Le Calame : Il y a 1 an apparaissait KASSATAYA, en pleine crise politique d’après putsch. Hasard ou timing réfléchi?

 Abdoulaye DIAGANA : Il ne s’agissait pas à vrai dire d’un timing réfléchi, pas plus que d’un hasard.  J’ai eu d’énormes difficultés (techniques surtout) à mettre au point ce projet qui date au moins de 2003. Quand il y eut la rupture de l’ordre constitutionnel du 6 août 2008, j’ai estimé que prêt ou pas, il fallait se lancer. 

KASSATAYA, ça veut dire quoi?
C’est tout simplement un symbole qui renvoie à un rituel très fort chez nous: les discussions libres autour d’un verre de thé (kass etay en hassaniya). Il fallait un nom qui rassemble la Mauritanie dans toutes ses composantes. Une légende veut que ce soient les awlad bousba qui introduisirent le thé en Mauritanie dont raffolent une majorité de mauritaniens aujourd’hui. L’attente des trois verres donne l’occasion de discuter librement de tous les sujets. C’est un moment rare qui féconde les esprits et nourrit l’inspiration. Pour prendre le pouls, c’est un exercice très instructif.
 
 Parlez nous un peu de votre équipe. Qui sont les animateurs qui vous entourent?
Vous savez, des projets intéressants, nous en avons sans doute plein les tiroirs. Il faut un peu de témérité pour se lancer mais aussi beaucoup de chance pour réussir. Je crois que la chance inouïe que j’ai eue, c’est de réunir des personnes désintéressées qui croient profondément en la diversité, en la liberté d’expression et en la démocratie. Sans eux c’est sûr, cette aventure aurait tourné court, rejoignant le lot de tous ces projets morts-nés. Je ne remercierai jamais assez toutes ces personnes de l’ombre qui en vérité ont fait (et font) le plus important du travail: sans elles nos émissions n’auraient pas eu plus de portée qu’une discussion privée. Comme ils sont nombreux, je me garderai de me lancer dans une énumération qui sera forcément incomplète. En tous les cas les équipes front et back se complètent parfaitement malgré les contingences du travail bénévole.
 
Y a-t-il un « esprit » KASSATAYA qui vous rend différent des autres médias? Pourquoi?
Il y a bien un esprit kassataya qui est d’abord cette conviction que toutes les opinions se valent et méritent d’être exprimées, même -surtout devrai-je dire- quand elles sont différentes des nôtres. C’est pour cela qu’ici nous ne pratiquons pas la censure. Il faut être vraiment très tolérant et sportif et croire profondément en la diversité culturelle en Mauritanie, en la nécessité de s’accepter et de s’enrichir mutuellement de nos différences pour être chez nous. L’esprit kassataya, c’est ensuite cette interactivité qui fait de l’auditeur un acteur plutôt qu’un consommateur passif des idées soumises par des bien-pensants. L’esprit kassataya, c’est enfin la générosité qui vous fait investir en temps et en efforts sans contrepartie financière.
 
 Il est difficile, pour un média,  de vivre sans financements. Vous bénéficiez d’aides?
Il y a eu en effet deux (2) auditeurs qui nous ont spontanément offert un soutien financier pour un montant total de 150€. D’autres nous ont par la suite proposé d’insérer le lien « faire un don » sur la nouvelle version de notre site. En dehors de cela, nous n’avons jamais reçu le moindre centime de qui que ce soit. Tout ce qui a été investi l’a été sur fonds propres. Il peut arriver qu’en ayant le choix entre s’acheter une nouvelle voiture, commencer la construction d’une maison… et investir dans un projet dans lequel on croit vraiment, on arrive à faire un sacrifice qui n’est pas négligeable. Pour être transparent jusqu’au bout, à ce jour, les annonces que les visiteurs peuvent voir sur le site ont crédité notre compte de 52€; mais en deçà de 70€, nous ne recevrons rien. Mais je vous rassure, nous tenons bon et ne sommes demandeurs de rien, même si nous savons très bien qu’avec un peu plus de moyens, nous offririons un outil de communication vraiment révolutionnaire qui en comblerait plus d’un. En attendant, nous faisons avec ce qu’il y a sans attendre ce qui n’est pas là.
 
Certains disent que vous êtes la radio de l’Opposition. Pendant la période de blocage, par exemple, vous avez principalement reçu des membres de l’opposition au putsch. Alors : KASSATAYA, radio de l’opposition?
Je pourrais vous renvoyer pour cela à la Charte de kassataya mais je sais que les textes peuvent dire une chose et leur pratique une autre. Nous ne sommes pas et ne pouvons pas être une radio de l’opposition. Nous sommes une radio libre et indépendante, d’informations générales, adossée à un portail qui l’est tout autant. Ce que nous pouvons faire, c’est courir les états-majors politiques à la recherche d’intervenants. Il se trouve que pour des raisons qui leur sont propres, les leaders de la majorité n’ont jamais voulu venir chez nous à l’inverse de ceux de l’opposition, que faire alors? Prendre ceux qui veulent venir et qui sont essentiellement de l’opposition ou fermer la radio: nous avons préféré garder nos micros ouverts. Je vous avoue que je n’arrive pas à m’expliquer le mutisme des leaders de la majorité. Les pays démocratiques où les acteurs politiques snobent les médias ne doivent pas être légion.  Nous avons fait des mains et des pieds, nous avons eu des échanges avec les conseillers du président, des membres du gouvernement, des élus de la majorité… jamais ils n’ont jugé utile d’aller s’exprimer ailleurs que sur la radio ou la télévision nationales. C’est regrettable et démoralisant. Il ne peut y avoir de démocratie saine sans débats. Il ne peut y avoir d’action politique véritable sans rendre compte au citoyen. J’en profite pour lancer un appel solennel à tous les acteurs politiques: kassataya offre une tribune pour échanger sur les actions qu’ils conduisent; qu’ils essayent alors de vaincre leur timidité et leur frilosité pour venir discuter ici.
 
 Mais vous êtes, vous Abdoulaye DIAGANA, « étiqueté » plutôt comme opposant. On peut être de l’opposition et être « neutre »  au sein d’une radio dite généraliste et ouverte à tous?  Il y a plusieurs « Abdoulaye DIAGANA »?
Il n’est pas juste de dire que je suis opposant. Opposant à quoi ou à qui? Je concède cependant une chose: quand le précédent président fut renversé le 6 août 2008, je ne me suis pas posé la question de savoir où je devais me situer. Je me suis tout de suite mis dans le camp de la fidélité aux institutions de la république. Sans plus ni moins. De mon point de vue, c’était là que je devais être. Aurai-je pu le faire sous une autre forme? Sans doute. Je rappelle juste que pendant la fronde, j’ai été soupçonné aussi d’en vouloir à l’ancien président juste parce que je lui rappelais qu’il s’enfermait dans une logique qui n’allait pas dans le sens de la stabilité politique, je ne peux même pas me réjouir d’avoir eu tort. Il n’y a donc qu’un Abdoulaye Diagana croyant profondément au respect des règles que la société s’est fixées et en l’occurrence, il s’agit de celles de la démocratie. Il faut accepter que des femmes et des hommes puissent agir selon des principes, sans personnaliser les rapports. Mais je reconnais que c’est très difficile dans un pays où il faut nécessairement être dans un camp et où chaque fois que vous prenez position c’est pour faire commerce (au sens vénal) de quelque chose. Que non, heureusement. Il y a des femmes et des hommes qui, sans être obtus et psychorigides, sont mus par tout autre chose. Contrairement à Messaoud Ould Boulkheir, je verserai sans doute au moins une larme si le président actuel venait à se faire renverser mais honnêtement, la Mauritanie n’en a pas besoin. Nous nous donnons en spectacle, au point de déclencher les railleries du roi des rois traditionnels d’Afrique -et c’est un comble, il avait raison sur ce point. C’est un bien triste spectacle; ça suffit comme ça!!!
 
Notre législation n’a toujours pas libéralisé les ondes. Dans ce contexte, KASSATAYA se situe où? Média libre? Radio généraliste? Tribune? Outil de communication? ….
Le monopole de l’information sur les ondes en Mauritanie est une anomalie qui va prendre fin, selon le président de la République d’ici au mois de juin et nous nous en félicitons. Dans quelles conditions et avec quel cahier des charges? Quant à kassataya, il s’agit d’un média sur le net et à ce titre soumis aux règles qui régissent  ce secteur. Nous sommes administrativement domiciliés en France.
 
Quand on écoute certaines de vos émissions, par exemple « l’Actualité commentée par les chroniqueurs » le Dimanche soir, on relève une très grande liberté de ton et d’opinions. Vous n’avez pas peur de choquer parfois?
Il nous fallait ce type d’émission que justifie d’ailleurs l’audience qu’elle recueille auprès des auditeurs. C’est la preuve qu’on peut appartenir à la même équipe et discuter respectueusement en ayant des positions presque inconciliables. Bien sûr parfois les prises de positions peuvent être sans nuance mais c’est aussi ça la démocratie et la liberté d’expression. C’est un pur moment de bonheur pour moi comme pour les chroniqueurs (Mariem qui s’arrache les cheveux pour nous sélectionner et préparer les sujets à commenter, Sy Mamadou « Barjo » et ses coups de gueule coups de cœur, Amadou Touré et ses interminables analyses qui heureusement sont très fines et très bien élaborées comme il a appris à sciences po, Mohamed Abba Ould Sidi Ould Jeilany et Thierno Tandia et leur très haute valeur ajoutée professionnelle et technique, Khaly et son approche pragmatique très anglo-saxonne)  et les auditeurs tous les dimanches à partir de 20 TU. Tout ce qui ne contrevient à notre charte est le bienvenu. Pour s’en convaincre, j’invite les lecteurs du Calame à écouter la très éclectique émission D’ici et d’ailleurs, de Mariem Mint Derwich le jeudi à 19h TU, le rendez-vous désormais incontournable Duugu Deege en langue soninke de Ceerno Koone le dimanche à 18H30 TU, la talentueuse et rigoureuse Zeinabou dans Grain de sel un dimanche par mois à 18h TU et « Exceptionnel », un rendez exceptionnel qui reçoit des personnalités exceptionnelles une fois tous les mois et que j’ai le plaisir d’animer.
 
Vous diffusez à partir de la France. Est ce que cet éloignement physique n’est pas un handicap pour  coller à l’actualité et aux réalités du terrain? De ce fait KASSATAYA s’apparenterait alors plutôt à une radio de la diaspora pour la diaspora, non?
Être loin du terrain est naturellement toujours un handicap. Nous essayons de contourner l’obstacle en discutant quotidiennement avec nos relais sur place ainsi qu’avec les acteurs politiques. C’est un effort qui alourdit la facture mais il en faut. C’est ce handicap qui fait d’ailleurs que nous ne faisons pas de reportages ni de journal et c’est une limite importante.
Quant à dire que kassataya est une radio de la diaspora, il y a sans doute un fond de vérité à le dire. Nous sommes reçus dans 81 pays outre la Mauritanie et le portail reçoit des centaines de milliers de visites par mois. Nous nous en félicitons tout en regrettant de ne pas pouvoir nous adresser aux mauritaniens ordinaires de l’intérieur qui, à mon humble avis apprendraient certaines choses en nous écoutant. Enfin, la place qu’occupe la diaspora dans la vie de notre pays n’est pas négligeable mais nous sommes bien conscients que le net n’est pas accessible à la grande majorité des mauritaniens.
 
En dehors d’une émission hebdomadaire en soninké la langue de KASSATAYA est le français. C’est par choix?
Non c’est juste par défaut et c’est une très grosse frustration là aussi. Nous avons tout fait pour avoir des bénévoles pour des émissions dans les autres langues. Nous avons eu une expérience en langue arabe mais ça a tourné court parce que les animateurs ne sont plus disponibles. Nous sommes sur le point de finaliser une nouvelle émission avec un nouvel animateur.
Quant au Poular, deux animateurs nous ont d’ores et déjà donné leur parole pour commencer des programmes sous peu. Pour le Wolof, je dois avouer que nous n’avons trouvé personne. Rien ne justifie que la situation reste ainsi. S’il y a des volontaires qui se reconnaissent dans notre charte, nous sommes disposés à leur aménager une plage horaire pour une émission de leur choix. Je dois préciser qu’ici nous n’avons pas de formalisme excessif. Chaque animateur est souverain et indépendant dans son émission dans le respect bien sûr de la charte. Il n’y a pas quelqu’un qui oriente les choix ou dicte les choix à un animateur. Chacun est vraiment le patron de son émission.
 
Avec le recul et après tous ces mois, pensez-vous que nous sommes mûrs en Mauritanie pour une radio telle que la vôtre?
Absolument! Il faut faire confiance au sens des responsabilités et en la maturité politique des mauritaniens à poursuivre l’apprentissage de la démocratie et du débat qui va avec. Mais pour cela, il faut aménager des espaces d’expression.
 
Revenons un peu sur l’absence d’invités de la majorité sur vos ondes. Il est difficile, dans ce contexte, de se revendiquer comme radio généraliste, non?
Généraliste par rapport à la nature des informations que nous traitons. Libre et indépendant par rapport aux acteurs de l’échiquier politique national. Encore une fois, nous les avons tous approchés et nous sommes en mesure d’en administrer la preuve. Nous n’avons pas intérêt à être partisans, ce ne serait pas une innovation et ce serait dommage de recréer l’existant. 

 

Pour faire un peu d’humour : KASSATAYA pour vous c’est donc l’anti Radio Mauritanie?
Si  nous nous en tenons à la réaction qu’on prête au président de la République suite à sa visite dans les locaux de la télévision nationale, oui. Pour s’en convaincre, je l’invite à nous « prêter  » la télévision nationale pour juste cinq émissions avec quelques membres du gouvernement, les téléspectateurs en jugeraient eux-mêmes.
 
En trois mots KASSATAYA pour vous c’est quoi?
Diversité, tolérance, liberté d’expression.
 
M. DIAGANA, question rituelle : si vous aviez un moment particulier que vous garderiez en mémoire, pendant cette année, ce serait lequel?
Sans hésiter, deux temps forts me reviennent à l’esprit: quand nous fûmes les seuls à couvrir en direct la signature de l’accord de Dakar et à recueillir les impressions des protagonistes avant même des chaines aux moyens sans commune mesure avec les nôtres et la couverture de l’élection présidentielle avec le défilé des hommes politiques majeurs (en l’absence notoire du candidat Ould Abdel Aziz dont les conseillers que nous avons eus n’ont pas voulu s’exprimer) sur kassataya: campagne et jour de scrutin compris.
 
Pour terminer, si vous aviez quelque chose à dire à nos gouvernants ce serait quoi?
Au premier d’entre eux je dis: responsabilisez vraiment ceux en qui vous avez placé votre confiance et invitez-les à rendre des comptes aux citoyens dont le destin est au moins en partie entre leurs mains. Une démocratie ne peut prospérer sans débat, sans communication. Il ne serait pas profitable au pays que ses principaux responsables ne s’expriment pas sur les sujets cruciaux qui interpellent l’avenir du pays. C’est une posture bien confortable pour eux que de se cacher derrière vous pour ne pas assumer leur part des responsabilités en venant s’expliquer devant des médias non complaisants. Ce n’est pas la meilleure manière de montrer la considération et la haute estime dans lesquelles on tient le citoyen. C’est en cela que nous essayons de nous rendre disponibles comme plateforme de discussion s’ils en jugent dignes le citoyen mauritanien et Kassataya.

 

Prpopos recueillis par MD

pour Le Calame

 

Source  :   Le Calame via www.lecalame.mr  le 20/04/2010 

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