Boydiel Ould Houmeid, président du parti El Wiam dans une interview exclusive (Le Calame)

(Crédit photo : anonyme)

‘’Je rejette le principe de dialogue-bis avant les élections et je vous promets que, s’il s’organisait un dialogue national avant les prochaines échéances électorales, je n’y participerais pas’’.

Le Calame : Après quarante jours d’absence pour maladie en France, le Président de la République est rentré à Nouakchott où il a été l’objet d’une imposante réception. A votre avis, s’agit-il d’un accueil républicain, donc spontané, ou, plus trivialement, suscité par ses partisans ?

Boydiel Ould Houmeid : Les deux à la fois. Accueil républicain, d’une part, parce que les Mauritaniens n’ont jamais été confrontés, en cinquante-deux années d’indépendance, à la maladie d’un président en exercice, à plus forte raison, blessé par balle, et ils ont tenu à accueillir leur Président pour lui manifester, en cette épreuve, leur solidarité et leur soutien ; d’autre part, la réception est l’œuvre de ses partisans qui se sont préparés pour l’évènement, en mobilisant les moyens humains et matériels. Je pense qu’ils ont réussi. Je dois avouer que, de mémoire d’homme politique doublé de syndicaliste, je n’ai jamais vu, à Nouakchott un rassemblement ou un accueil aussi massif ; je dois ajouter que c’est une des rares manifestations populaires où j’ai vu, côte à côte, les riches et les pauvres participer volontairement, sans y être contraints ; par exemple, les habitants des kebbés de la périphérie sont venus à pied, en file indienne, enthousiastes, motivés et fiers de participer.
Mon seul regret, personnellement, concerne la décision de l’Administration et des sociétés publiques d’utiliser les fonctionnaires et agents de l’Etat. Les organisateurs n’avaient vraiment pas besoin de recourir à un tel expédient pour réussir leur accueil. Je dois le souligner : de telles pratiques enfreignent la loi de la Fonction publique et les dispositions de la Convention collective qui garantissent, aux fonctionnaires et agents de l’Etat, leur liberté d’opinion dans les domaines politique et syndical.

-Vous avez rendu une visite de courtoisie au président de la République, au lendemain de son retour de France. A votre avis, a-t-il recouvré sa santé, après deux lourdes opérations consécutives ?

– Je ne sais pas si les opérations qu’il a subies sont lourdes ou légères, je ne suis pas médecin pour apprécier ; je sais, tout simplement, que le président était visiblement en bonne santé. Nous avons discuté longuement, il n’avait rien perdu de ses facultés mentales et c’est l’essentiel. Physiquement, il a effectivement perdu du poids mais j’ai constaté qu’il récupérait, au vu de ses dernières apparitions. En deux mots pour résumer, sa santé mentale est intacte, et, pour sa santé physique, il récupère, Machallah, plus vite que je prévoyais.

– Selon la presse, vous avez demandé, au Président de la République, l’organisation, dans les « meilleurs délais », des élections municipales et législatives ? Ce rôle n’est-il pas dévolu à la CENI ? Ne donnez-vous pas à penser que cette structure n’est pas suffisamment indépendante pour décider, elle-même, de cette date ?

– Il faut lire ou relire le communiqué de presse rendu public par El Wiam, à la suite de cet entretien. Nous avons abordé, avec le Président de la République, la question des élections et la nécessité de les organiser le plus rapidement possible. Ceci n’a rien à voir avec les prérogatives de la CENI dont l’indépendance est réelle, parce que les participants au Dialogue l’ont voulu ainsi et que les sept sages qui la composent n’appartiennent à aucune formation politique ; il s’agit de personnalités connues pour leur indépendance d’esprit et qui ne militent dans aucun parti. Là encore, je vous invite à relire les textes : certes, le point de vue de la CENI est important, dans la fixation de la date des consultations électorales mais les collèges électoraux sont convoqués par décret du Président de la République. Et si une date devait être fixée pour les élections, elle devrait l’être en concertation entre toutes les parties, à savoir le Gouvernement, la CENI et les partis politiques qui le veulent mais, surtout, les partis ayant participé au Dialogue.

– Le retour du président vient clore une longue période de rumeurs, sur son état de santé réel, et de revendication, par la COD, d’une période de transition consensuelle, afin d’aller vers des élections apaisées. Que pensez-vous de cette proposition ?

– Je vous dirai ce que j’ai toujours dit aux dirigeants de la COD, à ce sujet : les Mauritaniens sont fatigués des transitions qui, en réalité, ne mènent à rien : le seul changement qui vaille est celui obtenu par les urnes. Vous savez, les deux derniers présidents démocratiquement élus, en l’occurrence le président Taya et le président Sidi, n’ont pas pu terminer leurs mandats ; de grâce, laissons l’actuel terminer le sien et enlevons-lui le pouvoir par la voix des urnes, si nous en avons les moyens ; sinon, une démocratie ne doit pas aller à l’encontre de la volonté de son peuple.

– Dans une interview à RFI, le président Aziz a déclaré, le jour même de son retour au pays, tendre la main à la COD mais il exclut la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, une mesure proposée, séparément, par le président Messaoud, d’une part, et la COD, d’autre part. Que pensez-vous cette déclaration, vous qui rejetiez, jusque-là, tout dialogue bis ?

– Je rejette le principe de dialogue-bis avant les élections et je vous promets que, s’il s’organisait un dialogue national avant les prochaines échéances électorales, je n’y participerais pas. Si j’ai bien compris les propos du Président, celui-ci veut parler d’un dialogue entre lui et des partis de l’opposition ou entre les partis de l’opposition (dialoguistes et non dialoguistes) et ceux de la majorité ; mais pas d’un dialogue national, solennellement ouvert et clos par le Président de la République, comme celui que nous avons vécu dernièrement et qui fut à l’origine de changements importants dans les textes qui régissent la vie politique nationale. C’est sur cette base, vous le savez, que la Constitution a été amendée, plus de quinze lois approuvées, par le Gouvernement, puis votées, par le Parlement, et presque autant de décrets pris, en application de ces lois organiques et ordonnances.
Ce n’est pas tous les mois qu’on peut amender la Constitution ni tous les ans. Donc, si l’objectif est de refaire un dialogue comme celui-là, je ne suis pas partant ; si, par contre, la finalité du nouveau dialogue est d’aller vers des élections dans un climat apaisé, sur la base des décisions prises par le Dialogue national, je n’y vois pas d’inconvénient. Transition toute trouvée pour évoquer l’autre aspect de votre question : c’est la COD qui demande un gouvernement d’union nationale, le président Messaoud a demandé, lui, un gouvernement élargi dont l’objet est d’aller aux élections sur la base des acquis du dialogue national.

– Pendant l’absence du chef de l’Etat, le président Messaoud a réuni l’ensemble des soutiens de sa proposition d’une sortie de crise matérialisée par un gouvernement d’union nationale, afin de préparer et gérer les prochaines élections municipales et législatives. Le rejet d’un tel gouvernement, balayé, d’un revers de la main, par le Président sur RFI, ne risque-t-il pas de reléguer au placard la proposition préconisée par le président de l’Assemblée nationale ?

– Encore une fois, le président Messaoud n’a pas demandé un gouvernement d’union nationale mais un gouvernement élargi, vous voyez la nuance ? Le président Messaoud s’est adressé aux deux parties dont dépend, essentiellement, la réussite de son initiative : d’une part, le Président de la République et, d’autre part, la COD. Si le premier a toujours réservé sa réponse, la COD, au lieu de répondre directement à l’initiative, en relevant des insuffisances ou en demandant qu’elle soit complétée, en ont pris le contrepied, en utilisant, parfois, les mêmes termes et les mêmes thèmes mais en réfutant l’essentiel, car le président Messaoud parle d’une transition avec le président Aziz et un Premier ministre consensuel, avec un gouvernement élargi ; il ne s’agit pas d’un gâteau à partager mais d’un gouvernement où chacun peut se retrouver et dont la mission est, principalement, d’amener le pays vers des élections apaisées parce que transparentes, démocratiques et consensuelles.

– Toujours en l’absence du chef de l’Etat, des manœuvres ont été entreprises, ici et là. Il semble même qu’elles se poursuivent toujours. Côté surprise, la rencontre entre la COD et l’UPR. Dans ce cadre, la CAP a rencontré une commission de la COD. Que faut-il attendre de ces palabres ?

– Ces palabres, comme vous dites, sont de l’initiative de la COD, elle est la seule à pouvoir vous dire pourquoi elle les a engagées, est-ce qu’elle va les continuer ou les arrêter ; en tout cas, nous, à la CAP, nous lui avons donné notre position par rapport à son initiative, une réponse que je résume en trois points : il n’y a pas de vacance du pouvoir ; les institutions de la République fonctionnent normalement ; l’initiative en question prend le contrepied de celle du président Messaoud. Nous avons précisé qu’en dehors de ces trois points, tout le reste est discutable.

– Le jour de l’Indépendance, les jeunes de TPMN qui réclamaient, au cours de leur manifestation, la traduction en justice des auteurs des tueries dans les casernes militaires en 1990, ont été violemment réprimés par la police. Cette revendication ne vous paraît-elle pas légitime, de la part des veuves, orphelins, rescapés du passif humanitaire et des associations de défense des droits de l’Homme ? Que pensez-vous de cette violence policière, en dépit de la ratification, par notre pays, de la Convention internationale contre la torture ?

– Sur cette question, je dois dire que, durant les années 1989-90, il y a eu, malheureusement, des violences et des tueries, de part et d’autre du fleuve Sénégal. Mais je pense qu’il ne faut jamais réveiller les morts, surtout quand on sait que le Parlement avait, en son temps, amnistié tous les faits de l’époque. Quant à l’autorisation de manifester, je ne peux en juger car j’ignore si les organisateurs ont déposé ou non une demande d’autorisation dans les formes. Pour le reste, j’ai appris, par la presse indépendante, qu’un innocent qui se trouvait dans la rue, à ce moment-là, a été grièvement blessé par les manifestants.

– Que pensez-vous de l’agression verbale dont a été victime le président de Tawassoul, Jemil Ould Mansour de la part des partisans du pouvoir ?

– En tant que CAP, nous avons dénoncé cette agression verbale contre Jemil Mansour mais je dois vous dire que nous faisons, tous, l’objet de quotidiennes agressions verbales et écrites, le plus souvent par des anonymes qui n’ont pas le courage de se faire connaître. Lui, au moins, il a eu la chance de connaître ceux qui l’ont agressé verbalement.

– Après un bref séjour au pays, le Président est reparti vers la France pour parachever sa convalescence. Ne pensez-vous pas qu’il devrait déléguer certaines de ses prérogatives au PM, pour la bonne marche de l’action gouvernementale, au lieu de gérer le pays à distance, par téléphone ?

– Le Président est le seul à apprécier cette situation, c’est lui l’élu des Mauritaniens et le responsable devant eux. S’il estime qu’en tant que responsable de l’Exécutif, il peut diriger le pays à partir de Paris, avec les moyens modernes de communication à la disposition du monde aujourd’hui, il peut le faire. Personnellement, je pense que si le Président a pu diriger le pays, sans délégation, pendant quarante jours, à un moment où son état de santé était plus critique, il peut, a fortiori, le faire aujourd’hui, pendant une dizaine de jours, sans déléguer tout ou partie de ses pouvoirs.

– Dans son discours prononcé à l’occasion de la fête de l’Indépendance, le Président de la République a annoncé une augmentation des salaires des fonctionnaires, de l’ordre de 10 et 30% et la suppression éventuelle de l’ITS. A votre avis, cette augmentation aura-t-elle une incidence significative sur les conditions de vie des bénéficiaires ?

– Le Président a parlé d’une augmentation de 30%, pour les bas salaires, et de 10%, pour les hauts, et précisé que ceci se rapporte à la valeur du point d’indice, tout comme il a parlé de la suppression de l‘ITS. Si l’on augmente la valeur du point d’indice, qui était, à un certain moment, de 187 UM et qui, depuis, est passé à un peu plus de 300 UM, c’est non seulement le salaire de base qui augmentera, mais tous les accessoires, à savoir le complément spécial, la contribution patronale, la contribution à la pension et, même, le barème des heures supplémentaires. Cela constitue une augmentation importante, parce qu’elle a des répercussions sur toute la carrière du fonctionnaire. Par contre, s’il ne s’agit que d’une augmentation forfaitaire, c’est seulement le net à percevoir qui augmentera, sans incidence sur le reste des émoluments du fonctionnaire. Notons que, pour les agents non fonctionnaires, la référence doit être le SMIG.
Je dois préciser, par rapport à l’histoire, que l’ITS a été instauré en 1962, au moment où la Mauritanie renonçait à la subvention d’équilibre que lui accordait la France, et non pas pour soutenir la guerre ou la lutte contre les effets de la sécheresse. Cela concernait, plutôt, le Fonds d’action qui a disparu en 2000. De toute façon, en période de vaches maigres dans le monde entier, toute augmentation de salaire relève du courage et constitue un acte qui ne manquera pas de contribuer à améliorer les conditions de vie des fonctionnaires et agents de l’Etat. Mais il reste à l’élargir au secteur privé, par le biais de négociations entre les partenaires sociaux. Ce qu’on pouvait craindre, dans une telle situation, c’étaient des compressions de personnel.

– La CAP et la COD ne filent pas un parfait amour. Certains responsables ont décoché, il y a peu, quelques piques à l’endroit de la CAP dont vous faites partie. Ne pensez-vous pas que la Mauritanie a besoin d’un débat plus soutenu que celui servi, actuellement, par la classe politique ?

– Nous avons noté que, dans un entretien avec Al Arabiya, le président Ahmed ould Daddah a qualifié l’opposition dialoguiste de « marginaux du pouvoir » et, récemment, certains théoriciens de la division ont dit que l’opposition dialoguiste s’est elle-même mise, par sa position, à l’écart du débat national. D’abord, je dois souligner que trois personnalités dirigeantes de la COD, à savoir le président Ahmed Ould Daddah, le président Ahmed Sidi et le président Ba Mamadou Alassane, sont des hommes envers lesquels je voue beaucoup de respect, pour leur âge et pour les services rendus à la Mauritanie. Ce sont des pionniers de l’Indépendance et ont participé à la mise en place de la Nation mauritanienne naissante.
Cependant, je tiens à préciser que nous sommes une opposition qui se veut responsable et constructive, qui n’est ni à la marge, ni au cœur, ni, encore moins, un vautour, du pouvoir. Nous pensons que la meilleure opposition est l’opposition démocratique. Beaucoup de Mauritaniens nous ont encouragés et nous encourage, dans cette voie, ils s’identifient à nous et, de ce fait, nous sommes au cœur du débat : dans ce pays, rien ne peut plus se faire, en bien ou en mal, sans nous.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  Le Calame le 12/12/2012{jcomments on}

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